Christoph Pöggeler, rencontre avec l’artiste créateur des Säulenheiligen de Düsseldorf 

Si le nom de Christoph Pöggeler vous est encore inconnu, ses œuvres érigées aux 4 coins de la ville de Düsseldorf ne vous auront certainement pas échappées.

Christoph Pöggeler est l’artiste qui a eu la géniale idée, voilà plus de 20 ans, d’installer au sommet des colonnnes Litfaß (du nom de leur inventeur berlinois en 1854, à l’instar de Morris en France), des personnages de la vie quotidienne, intitulés Säulenheiligen, littéralement saints de colonnes ou stylites. Ces personnages, devenus emblématiques de Dusseldorf, tout comme les Radschläger ou les Flossis (en savoir plus), sont particulièrement appréciés des habitants pour leur touche de fantaisie, de couleur… un clin d’œil artistique dans un espace public un peu grisâtre.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer Christoph Pöggeler : la première à l’occasion de la visite de son atelier, organisée en 2016 par Düsseldorf Accueil, puis à l’inauguration qui a suivie, celle de son 10ème Säulenheiliger dans le tout nouveau quartier de Grafental, et enfin lors de différentes inaugurations d’expositions. 

Fin avril j’ai eu le privilège de discuter longuement et de façon informelle avec Christoph dans son atelier à Grafenberg… Un artiste d’une grande bienveillance, très accessible et surtout passionnant. Cette rencontre a été organisée par Jocelyn Ganneron, qui a géré la partie photos d’une main de maître.

Photo ©️ Jocelyn Ganneron

Nous arrivons en début d’après-midi à l’atelier de Christoph, un atelier d’artiste, comme on les imagine : jonché de pinceaux, de tubes, de palettes, de matériaux divers, de tableaux mais aussi de cassettes audio, de vinyles… une caractéristique cependant nous interpelle, particulièrement importante et inspirante pour Christoph Pöggeler : l’atelier est entouré de verdure !

Ce n’est pas Christoph qui nous ouvre, il a eu un problème de vélo nous explique Manon, sa belle-fille française, originaire de Biarritz. Le temps de nous familiariser avec l’environnement, Manon et Elektra, la fille de Christoph, nous tiennent compagnie quand arrive Marlies, l’épouse de Christoph, avec du café et une succulente tarte à la rhubarbe. Un accueil familial si chaleureux et d’une simplicité telle qu’il nous met tout de suite très à l’aise.

Photo ©️ Jocelyn Ganneron
Photo ©️ Jocelyn Ganneron
Atelier de Christoph Pöggeler Photo ©️ Nath in Düss

Aujourd’hui Christoph Pöggeler est identifié, par la plupart des habitants de Düsseldorf, comme le créateur des Säulenheiligen. Mais il ne faut pas oublier que l’artiste a été et reste avant tout un peintre talentueux et un dessinateur hors pair.

Dès le plus jeune âge, Christoph, numéro 2 d’une famille de 5 garçons, se passionne pour le dessin. Les crayons de couleur deviennent rapidement ses « jouets » de prédilection à tel point que sa mère doit suivre le rythme du réassort, en particulier pour une couleur, l’ocre, couleur que l’on retrouvera plus tard dans la plupart des supports qu’il utilise et qui caractérisent son œuvre : le bois !

Car Christoph, étudiant à la Kunstakademie Düsseldorf de 1979 à 1985, élève de Alfonso Hüppi, réalise rapidement que le dessin est son point fort mais que peindre sur toile l’ennuie… il lui faut trouver une autre idée et sortir des sentiers battus de l’art.

C’est à partir de ce constat que lui vient l’idée géniale d’utiliser de nouveaux matériaux : il va donner vie à des éléments en fin de vie… tout ce qui lui tombe sous la main est bon à prendre : une vieille chaise longue devient un rivage orné de palmiers, de vieux vinyles rayés font tourner la tête de couples de danseurs, le plateau d’une table ronde accueille des convives et les aspérités de vieilles planches de bois se transforment en rivière sinuant à travers les arbres d’une forêt ou en une mer de glace autour d’un iceberg. La nature est son thème de prédilection mais régulièrement ses peintures illustrent aussi des thèmes marquants de notre époque.

Christoph Pöggeler, Opera Della Natura, 2021, oil colour on wood, 122×202 cm, Foto © C. Pöggeler
Christoph Pöggeler, Eisberg IV, 2009. Öl auf Holz, 122 x 229 cm, Foto © C. Pöggeler. Bildquelle Galerie Kellermann

Le bois, matériau authentique par essence, est particulièrement inspirant nous explique Christoph Pöggeler : chaque pièce est unique, il suffit de laisser libre cours à son imagination. Sont inspirantes non seulement les aspérités du bois mais également la matière. Le bois, de par son aspect poreux, implique un travail de longue haleine  : 4 a 5 couches de peinture à l’huile sont nécessaires pour obtenir le résultat souhaité par l’artiste. 

Voici donc Christoph Pöggeler, alias le chiffonnier, parti pour vider les greniers de ses amis, farfouiller dans les chantiers et les tas de Sperrmüll qui jonchent les trottoirs. Il alimente ainsi son stock de matériaux, prêts à l’emploi et à entamer une deuxième vie grâce à ses coups de pinceaux et applats de peinture… de l’art du recyclage à l’art tout court !

À l’aube des années 2000, alors qu’il se consacre entièrement à ses peintures sur bois, Christoph réalise une esquisse représentant une colonne Litfass avec une danseuse perchée à son sommet, sorte d’effet miroir de l’affiche apposée sur la colonne. Ces colonnes, Christoph nous explique que ce sont des supports qu’il affectionne particulièrement car vecteurs foisonnants de culture. Alors pourquoi ne pas les rendre plus attractives, se demande-t-il un jour, pourquoi ne pas y ajouter de la fantaisie, de la couleur et surtout de la vie en y érigeant des personnages de notre quotidien à leur sommet ? L’idée était née !

Atelier de Christoph Pöggeler Photo ©️ Nath in Düss


Pour ce cycle d’œuvres, Christoph Pöggeler va s’inspirer des stylites, ces ermites des débuts du christianisme, qui plaçaient leur cellule au sommet d’une colonne ou d’un portique pour y pratiquer une vie d’ascète. Le plus connu est Siméon (388-459), surnommé le Stylite, qui vécut 37 ans au sommet d’une colonne au nord de la Syrie.


Dans le cas des œuvres de Pöggeler il ne s’agit pas de représenter des saints, ni d’ailleurs des célébrités de la ville de Dusseldorf, mais des personnages authentiques,, des personnages de la vie de tous les jours, à l’apparence très réaliste, modelés au détail près, des personnages auxquels les habitants de Düsseldorf pourront s’identifier

Mais l’idée est une chose, la réalisation en est une autre. Si la ville accueille le projet avec enthousiasme et s’occupe des questions de sécurité et d’assurance, elle ne participe pas au financement. Or, créer des Säulenheiligen implique beaucoup de temps (4 mois minimum) et d’argent, notamment pour les matières premières, comme le silicone. L’artiste doit se débrouiller pour trouver des mécènes qui financeront le projet. 

Pour réaliser ses Säulenheiligen, Christoph Pöggeler commence par souder une ossature faite de barres d’acier et de fils de fer puis crée son modèle en argile avec le souci de précision qu’on lui connaît. Il enduit ensuite la figurine de silicone afin d’obtenir une sorte de « peau négative » puis de plâtre pour qu’elle soit bien maintenue. Les deux moitiés obtenues forment une sorte de sarcophage et sont remplies de résine polyester. Ne reste plus qu’à assembler les 2 morceaux et à peindre la sculpture.

C’est en 2001 que ses deux premiers Säulenheiligen voient le jour avec tout d’abord « Marlies » : l’épouse de l’artiste est à l’honneur et représentée, le regard tourné vers le ciel. Christoph s’est inspiré d’une photo de vacances en Vénétie, alors que Marlies observait religieusement une statue d’ange. Elle-même a presque la posture d’un ange, comme si ses ailes étaient repliées vers l’arrière.

Vient également se dresser au même moment, sur les bords du Rhin, le Geschäftsmann, le Säulenheiliger préféré de Christoph, peut-être en raison de l’anecdote qui s’y réfère : afin de capturer la photo de l’homme d’affaires qui lui servira de modèle, l’artiste a enfilé son plus beau costume, emprunté la mallette de son père et est lui-même monté, non sans mal et les genoux flageolants, sur le sommet de la colonne (3,80 m).

Les Säulenheiligen de Christoph représentent tous des personnages de la vie de tous les jours, des personnes que l’artiste connaît personnellement ou qu’il a rencontrées. À travers les personnages représentés, il aborde différentes thématiques de notre quotidien comme la maternité/paternité, la relation amoureuse, l’enfance, la vie active, les réfugiés, l’activité artistique, les loisirs… et bientôt la pauvreté.

Car 2 nouveaux Säulenheiligen sont aujourd’hui à l’étude, un pour Oberkassel, financé par la librairie Gossens Bücher, qui est en bonne voie et qui représentera, par contraste avec l’image huppée du quartier, un sans-abri, collecteur de bouteilles consignées… mais également un autre projet dont Christoph nous a demandé de garder le secret.


Les Säulenheiligen sont disponibles à la vente sous forme de mini statuettes en polyester ou bronze sur colonne. L’artiste s’est aussi amusé à les modeler en miniature sur des tubes de stick lèvres.

Atelier de Christoph Pöggeler Photo ©️ Nath in Düss


Christoph Pöggeler n’envisage pas le métier d’artiste comme une activité cantonnée à produire des œuvres, enfermé dans un atelier, mais considère que l’art doit se nourrir d’échanges d’idées et de partages d’expériences. C’est une des raisons pour lesquelles il aime particulièrement son métier d’enseignant en parallèle de son activité artistique. Il a été longtemps professeur dans une école d’architecture et enseigne maintenant le dessin au niveau gymnasiale Oberstuffe dans une Gesamtschule.

En 1993, l’artiste a reçu le Förderpreis für Bildende Kunst der Landeshauptstadt Düsseldorf, prix d’encouragement pour les arts plastiques de la capitale du Land de Düsseldorf et a été récompensé, en 2008, par le Rheinischen Kunstpreis, prix d’art rhénan, pour sa peinture réaliste et surréaliste.

À la fin de notre entrevue de 3h, Christoph s’est prêté au jeu du shooting photo, mené en professionnel par Jocelyn Ganneron, dont les postures ressemblent étrangement au Säulenheiliger photographe.

Merci Christoph pour cette passionnante discussion et Jocelyn pour les magnifiques et artistiques clichés.

Site officiel de Christoph Pöggeler

Les 10 Säulenheiligen et leur emplacement

À lire aussi : Christoph Pöggeler, à la découverte de ses dernières œuvres

À lire aussi : Düsseldorf, quelques symboles incontournables !

Photo ©️ Nath in Düss

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.