Ce n’est peut-être pas la meilleure période pour vous lancer dans la lecture de ce roman très sombre. Vous passeriez cependant à côté d’un excellent roman, dont l’action se déroule en Prusse-Orientale au cours d’une période tragique pour la population civile allemande (l’hiver 1944, à la veille de l’arrivée des troupes soviétiques).

Encore et toujours cette question, comment un peuple aussi évolué, épris de liberté et cultivé a pu se laisser hypnotiser berner et embrigader par un monstre fanatique, s’accommoder sans résistance du nazisme ? Une partie de la réponse est dans le passionnant roman de Géraldine Schwarz, Les Amnésiques, à lire en parallèle et qui fait référence à ces Allemands (devenus «amnésiques» après la guerre) qui, plus ou moins convaincus par le régime nazi, ont cependant marché avec le courant et contribué au bon fonctionnement du IIIe Reich et au désastre mondial.
Comme de nombreux romans sur le sujet, l’auteur et journaliste belge, Marcel Sel, évoque dans Elise l’aura électrisante du Führer, l’organisation méticuleuse à tous les niveaux de la population et sans échappatoire idéologique possible, la propagande, le déni de la défaite mais aussi le doute, les petites et grandes actions de résistance, la vie quotidienne en Prusse-Orientale, aux portes de la Russie, les relations avec les prisonniers de guerre, les représailles…
Une période sombre dans laquelle le lecteur se laisse porter au gré des pensées (sans transitons ni réelle chronologie) des deux protagonistes principaux : Elise, jeune et belle Allemande, un peu naïve, embauchée au service d’une baronne et François, jeune prisonnier de guerre français au service du Bourgmestre dans le domaine de cette même baronne. On retrouve François à différentes époques, de 1939 à 1945 en Prusse-Orientale et dans les années 50, 70 et 80 à travers son histoire personnelle et son périple en RDA et Pologne sur les traces d’une Elise disparue et de mystères à résoudre.
Les romans qui évoquent la vie dans une région devenue le berceau sanglant de l’Allemagne, province allemande aujourd’hui rayée de la carte, m’ont toujours fascinée. Mais Elise a surtout le mérite d’être un des rares romans qui met en lumière la souffrance de la population civile allemande, notamment celle de Prusse-Orientale : la menace nazie avant l’arrivée des russes, la fuite tous azimut et dans des conditions épouvantables vers l’ouest et le viol à répétition des femmes (décrit ici avec un extrême réalisme). Des souffrances dont on ne parle que trop peu !

Je vous conseille également un des plus émouvants romans que j’ai pu lire évoquant la Prusse-Orientale : l’Album de Menzel de Béatrice Wilmos ainsi que l’excellent téléfilm allemand de la chaîne ARD : Die Flucht (existe en français : La fuite) dans lequel j’ai retrouvé de multiples similitudes avec Elise.
Seul petit bémol qui n’enlève rien à la qualité du roman : le langage populaire de François, un peu trop souvent dans la caricature du petit communiste, qui détonne avec quelques grandes envolées lyriques de l’auteur.