En 1919 naissait en Allemagne une toute jeune république portant le nom de la ville où s’était réuni, le 6 février, la première assemblée constituante… La République de Weimar, une période unique dans l’histoire de l’Allemagne, une période de grands bouleversements : 14 ans (1919-1933) de démocratie, d’inégalités et de luttes sociales, d’économie balbutiante, 14 ans d’innovations techniques, de bouillonnement intellectuel et artistique, d’émancipation et d’effervescence… et une période marquant l’âge d’or du cinéma allemand !
A l’occasion des 100 ans de la République de Weimar, la Bundeskunsthalle de Bonn présente jusqu’au 24 mars 2019, en coopération avec la Deutsche Kinemathek, Museum für Film und Fernsehen de Berlin, une exposition exceptionnelle sur le cinéma des années 20.
L’âge d’or du cinéma allemand
Si l’on doit les débuts du 7ème art aux américains Edison et Dickson et aux frères Lumières, inventeurs en 1895 du cinématographe, le cinéma allemand prend réellement son envol à la fin de la première guerre mondiale.

L’âge d’or du cinéma allemand durera 14 ans et participera pleinement, comme le Bauhaus ou le théâtre de Reinhardt, au bouillonnement culturel de la république de Weimar.
Entre 1919 et 1933, le cinéma allemand va connaître un développement rapide et sans pareil, rivalisant avec le cinéma américain et surpassant de loin le cinéma français (l’Allemagne produira quatre fois plus de films que la France).
C’est dans les studios UFA (Universum Film AG) de Berlin – Tempelhof et de Babelsberg que vont s’exprimer d’immenses talents comme Ernst Lubitsch (qui sera vite débauché par Hollywood), Friedrich Wilhelm Murnau, Georges Wilhelm Pabst, Fritz Lang, Robert Wiene et bien d’autres, tout droit venus du théâtre pour la plupart.

De grands scénaristes, décorateurs, opérateurs, photographes, producteurs et acteurs tels que Conrad Veigt, Alfred Abel, Peter Lorre, Emil Jannings, l’américaine Louise Brooks et bien sûr la sublime Marlène Dietrich participeront au boom du cinéma muet puis parlant de la République de Weimar.


Un cinéma allemand d’une grande maîtrise technique
Le cinéma allemand des années 20 est un cinéma à la pointe du progrès : des équipements modernes en constante évolution, des studios à l’éclairage artificiel permettant de jouer sur le clair-obscur, des décors et effets spéciaux de plus en plus spectaculaires… et quand arrive enfin en Europe le cinéma parlant (1929-30), les Allemands s’adaptent immédiatement grâce à une maîtrise rapide de l’habillage sonore. Quant au réseau de salles de projection, il répond très vite à une demande croissante de divertissement, en particulier à Berlin.
Mais ce qui distinguent surtout les cinéastes allemands de leurs concurrents américains c’est une plus grande liberté artistique et créatrice.
Un cinéma allemand moderne et créatif
Les années 20 sont la grande époque du CINÉMA EXPRESSIONISTE tant en peinture qu’au cinéma, reflétant les angoisses profondes d’une société vivant dans un contexte de défaite et de crise. Le cinéma expressionniste déforme la réalité pour susciter une émotion. Il utilise des décors très graphiques et déstructurés, de forts contrastes et des ombres effrayantes, une musique angoissante, un jeu excessif d’acteurs exagérément maquillés… il aborde des thèmes comme la misère, la peur, la folie.
Le meilleur exemple de cinéma expressionnistes est Le cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene (1921)
Si certains films tournent le dos à la réalité de l’époque, d’autres la mettent en scène. Les crises sociales, les difficultés économiques mais aussi le progrès technique, l’enrichissement des spéculateurs, le vice, la débauche… sont portés à l’écran et alimentent le CINÉMA RÉALISTE. La grande ville, de plus en plus moderne mais qui accueille une misère croissante est à l’honneur. Des films comme Berlin symphonie d’une grande ville (Ruttmann), Journal d’une fille perdue (Pabst), La rue sans joie (Pabst) ou encore Les hommes le dimanche (Siodmak-Ulmer) témoignent de cette période de grands bouleversements.
Une autre tendance de l’époque est le CINÉMA D’ANTICIPATION dont un des meilleurs exemples est le film de Fritz Lang : Metropolis.
Il faut rappeler que ce film aujourd’hui culte, inscrit depuis 1992 au registre « Mémoire du monde »’ de l’Unesco, fut un fiasco à sa sortie, menant la UFA au bord de la faillite. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que Metropolis soit redécouvert et trouve enfin son public.
Ce film à l’esthétique futuriste (décors inspirés de l’architecture new-yorkaise) met en scène des ouvriers travaillant dans les souterrains d’une fabuleuse métropole de l’an 2026. Ils assurent le bonheur d’une élite privilégiée qui vit dans les jardins suspendus de la ville. Un androïde mène les ouvriers vers la révolte… Le film est particulièrement visionnaire, annonçant les dérives du capitalisme, le pouvoir de l’intelligence artificielle et le totalitarisme des sociétés modernes (comme le nazisme à venir).
Le cinéma allemand a connu ses heures de gloire dans les années 20. Malheureusement, le nazisme a poussé un grand nombre d’artistes à fuir l’Allemagne (d’autres avaient déjà quitté le navire pour Hollywood dans les années 20) et à exprimer leur créativité aux Etats-Unis. A partir de 1933 le cinéma allemand devient un cinéma de propagande.
L’exposition Kino der Moderne à la Bundeskunsthalle de Bonn
De nombreux extraits de films, photos, affiches, scénographies, accessoires, costumes, décors et maquettes jalonnent l’exposition et le visiteur voyage à travers des thèmes qui ont façonné les années de Weimar : l’urbanisme, la politique, le monde du travail, la nature, le sport, les transports, la mode, l’exotisme les loisirs, la science, la psychanalyse, l’homosexualité… montrant par là que le 7ème art des années 20 est le miroir de la vie quotidienne de cette période.

Vous pourrez admirer, entre autres, des tenues ayant appartenu à Marlène Dietrich, de nombreuses maquettes de décors du film Metropolis ainsi qu’une magnifique voiture de course Mercedes datant de 1929.

Une salle est également consacrée aux équipements utilisés par les cinéastes et aux progrès techniques réalisé au cours des années Weimar.

Une très belle exposition à voir jusqu’au 24 mars 2019. Plus d’infos.

Et vous voulez vous replongez dans l’époque de la République de Weimar, je vous conseille l’excellente série Babylon Berlin (2017) dont de nombreuses scènes des saisons 1 et 2 ont été tournées dans les studios de Babelsberg (actuellement sur My Canal, bientôt sur Netflix).
Et devinez quel sera le thème de la troisième saison, actuellement en tournage ?… Le cinéma bien sûr !
Titelbild : Werkfoto, Die weiße Hölle vom Piz Palü (Arnold Fanck, G. W. Pabst, 1929)
Quelle: Deutsche Kinemathek – Fotoarchiv,
Foto: Hans G. Casparius © Deutsche Kinemathek – Hans G. Casparius