L’Allemagne par les livres : Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen de Stefan Zweig !

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Quel bonheur de retrouver dans ma bibliothèque, au milieu d’une collection bien fournie des œuvres de mon auteur préféré de jeunesse (et d’aujourd’hui), le roman testament de Stefan Zweig « Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen ».

Quel étonnement de constater que, pendant toutes ces années (le prix au dos du livre est encore indiqué en Francs français), j’étais passée à côté de ce magnifique récit, si pertinent, si passionnant et si visionnaire. Et avec quel enthousiasme je me suis plongée dans la lecture de cette œuvre magistrale (tout comme l’ensemble de l’œuvre de Zweig d’ailleurs).

En 1941, alors que la guerre fait rage en Europe, qu’il est réfugié au Brésil et apatride depuis 1934, Stefan Zweig, Européen convaincu de la première heure, est décidé à quitter ce monde dans lequel il vit mais ne croit plus. Il s’attelle alors à la rédaction de son dernier livre, son testament, son livre le plus personnel, témoignage d’une époque qui n’est plus, récit d’une période de bouleversements qu’il a lui-même traversée.

Le monde d’hier sera finalement publié en 1943, un an après son suicide.

Sur 500 pages, Zweig nous transporte dans le monde d’hier… il raconte avec passion le monde de tradition, de sécurité et de progrès technique dans lequel il a grandi, où dominaient les arts et la culture, un monde sans frontières où l’Autrichien qu’il était savourait la liberté de circuler sans passeport ni visa mais juste doté d’un appétit de découverte, une ouverture au monde extérieur.

Il décrit, avec la plume extraordinaire qu’on lui connaît, avec un style et un regard éminemment modernes, la rigidité du monde de l’éducation, la position des juifs dans la société autrichienne et leur influence sur les arts, la condition des femmes, les tabous sur la sexualité, ses débuts en temps que poète et dramaturge, ses voyages, ses formidables rencontres et les opportunités qui ont forgé son caractère et tracé son chemin.

Puis arrive la première guerre mondiale et l’élan patriotique des nations, la haine attisée de l’ennemi, la fermeture des frontières. Jugé inapte pour combattre sur le front, Zweig est enrôlé dans les services des archives militaires et nous décrit le front, sa misère et ses horreurs. Son séjour en Suisse jusqu’à la fin de la guerre lui permettra de constater les avantages de résider en pays neutre et de rejoindre une communauté artistique et littéraire, unie par une fraternité spirituelle, de plus en plus opposée à la guerre.

Puis vient l’armistice, l’Autriche et l’Allemagne, genoux à terre, se relèvent difficilement. Zweig évoque la terrible inflation allemande dont il voit un lien avec l’avenir funeste réservé à ce pays « ami de l’ordre ».

Il faut le rappeler sans cesse, rien n’a aigri, rien n’a rempli de haine le peuple allemand, rien ne l’a rendu mûr pour le régime d’Hitler comme l’inflation. Si meurtrière qu’ait été la guerre, elle a toujours procuré des jours de jubilation avec sonneries de cloches et fanfares de victoire. Et l’Allemagne, cette nation incurablement militariste, se sentait grandie dans son orgueil par les victoires temporaires, tandis qu’elle se trouvait salie, dupée et abaissée par l’inflation; toute une génération n’a jamais oublié et jamais pardonné ces années à la république allemande et elle a préféré bien plus tard rappeler ses bouchers. (Stefan Zweig)

Il dépeint également les années folles, la décadence, l’absence de morale, cet élan de liberté excessive et réactionnaire, en opposition avec le monde de tradition et de sécurité d’avant guerre.

De 1923 à 1933, Zweig vit d’espoir quant à une future Europe pacifique, connaît un succès considérable, parcourt à nouveau le monde et rencontre les grands esprits de son temps, politiques, littéraires, artistiques… Il essaie d’analyser avec recul la source de son succès :

Je ne pus éviter de me demander, au cours de longues heures de méditation, à quelle qualité particulière de mes livres je devais le succès pour moi si inattendu. Je suis arrivé à la conclusion qu’il est dû à un défaut de ma nature, c’est que je suis un lecteur impatient et plein de tempérament. Toutes les redondances, toutes les mollesses, tout ce qui est vague, indistinct et peu clair, tout ce qui et superflu et retarde le mouvement dans un roman, dans une biographie ou un exposé d’idées m’irrite. Seul un livre qui se maintient à chaque page au niveau le plus élevé et vous entraîne tout d’un trait jusqu’à la dernière sans vous laisser le temps de respirer me donne un plaisir sans mélange. (Stefan Zweig)

En 1934, Zweig, écrivain banni en Allemagne, quitte définitivement son Autriche bien aimée et, réfugié en Angleterre, assiste aux tristes événements liés à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, à ce qu’il intitule «l’échec de la civilisation». Sidéré, il décrit et déplore la brutalité, la bestialité, l’absence d’humanité, l’intolérance qui accompagnent cette période… bref la gangrène qui s’est propagée de l’autre côté du Rhin et l’impuissance de l’Angleterre et de la France à maintenir la paix. Il assiste avec une profonde tristesse au naufrage de l’Europe. La suite on la connaît, la dernière page de son récit s’achève sur la déclaration de guerre de l’Angleterre et de la France à l’Allemagne.

Laurent Seksik, auteur également des «Derniers Jours de Stefan Zweig», commente dans Le Monde d’hier illustré, la description des Allemands faite par Zweig :

Zweig dissèque son époque, démonte un à un les mécanismes complexes et violents, mais rationnels, qui ont conduit les Allemands à perdre leur dignité d’hommes – il parle toujours d’«Allemands» et non pas de «nazi» et désigne ainsi dans son ensemble le peuple auteur de la barbarie nazie. […] Le peuple allemand n’a pas suivi Hitler, il l’a nourri, l’a élevé au rang de chef, Hitler est l’émanation de «l’âme allemande» tout autant que le géniteur de sa barbarie, ayant puisé à la source du pangermanisme.  (Laurent Seksik, textes choisis du Monde d’hier)

Stefan Zweig, grand humaniste, Européen convaincu et pacifiste, si lucide sur son  temps n’aura malheureusement pas pu voir l’Europe, qu’il chérissait tant, renaître de ses cendres (malgré la formation du bloc de l’Est) et s’installer peu à peu une presque sécurité, insouciante, similaire à celle décrite dans son premier chapitre. 

Zweig était un visionnaire, il pensait que frontières et passeports appartiendraient un jour au passé mais qu’il ne pourrait pas le vivre. N’est-ce pas l’espace Schengen d’aujourd’hui qu’il évoque ?

Bref un récit à lire absolument, un pan de l’histoire vu par un des plus grands auteurs du 20ème siècle, qui par la modernité de son style reste, 76 ans après sa mort, un écrivain toujours aussi actuel.

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Le Monde d’hier (textes choisis), commenté par Laurent Seksik, existe également en version illustrée.

Vous pouvez également écoutez des extraits audio sur You Tube (émission France culture – 10 épisodes)

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6 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Sommet dit :

    Je recommande vivement le film Vor Der Morgenröte ainsi que la correspondance abondante entre Stefan Zweig et un autre grand écrivain pacifiste, Romain Rolland.

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    1. Nath in Düss dit :

      Le film a été rediffusé il y a quelques jours sur Arte et est encore disponible en replay. J’avais publié un post sur le groupe « Le petit coin lecture de Nath in Düss »

      J’aime

  2. jip14 dit :

    Magnifique cet article !
    Merci pour tes recos de bouquins :-))

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  3. Katrin dit :

    Super bien écrit votre article. J’ai eu beaucoup de plaisir à le lire. Merci et hate de lire d’autres !

    Aimé par 1 personne

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